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La Vie Folle

Ed van der Elsken, Vali Myers (Ann) danse à la Scala Paris 1950 © Ed van der Elsken

Exposition de l’oeuvre de Ed van der Elsken – Musée du Jeu de Paume – Commissaire de l’exposition Hripsimé Visser.

C’est la première rétrospective en France de l’œuvre de Ed van der Elsken, photographe, auteur et documentariste néerlandais (1925-1990). L’artiste est « enfant de son époque : sombre dans les années 1950, rebelle dans les années 1960, non conformiste dans les années 1970 et philosophe dans les années 1980 » note le dossier de presse. Il sillonne le monde et, pendant une quarantaine d’années, capte sur le vif l’énergie, diurne et nocturne de villes comme Tokyo, Paris et Amsterdam. Foisonnante, son œuvre s’exprime à travers divers supports et mêle plusieurs formes d’expression que l’exposition restitue avec simplicité et dans une belle dynamique : plus de cent cinquante tirages originaux, des planches-contacts, des tirages en couleur et deux diaporamas – Eye Love You et Tokyo Symphony – des extraits de films et de textes parfois acidulés et toujours personnels, des montages, maquettes de livres et publications.

Ed van der Elsken joue avec les limites et, dans les années 1950, traque les atmosphères, l’intime et les scènes de la vie quotidienne. Dans son quartier de Nieuwmarkt, à Amsterdam, il capte des personnages atypiques, excentriques et marginaux, – d’une jeune élégante à la coiffure en choucroute à la tenancière d’un bar, des travestis aux passionnés de jazz… – C’est au cours de ces années qu’il découvre le jazz au Concertgebouw d’Amsterdam et en tombe amoureux, lors d’un concert où il découvre Chet Baker. Il fait de nombreuses photographies lors de concerts – avec Miles Davis, Lionel Hampton, Ella Fitzgerald etc. – qu’il publie dans Jazz, en 1959, livre dont il fait lui-même la maquette en donnant aux images des rythmes syncopés à la manière d’improvisations musicales.

Au cours de ces mêmes années, Ed van ver Elsken photographie le Paris de l’après guerre, ses quartiers intellos et artistes, s’intéresse au langage du corps, parcourt pendant quatre ans les rues et témoigne avec humanité. Il évoque la jeunesse, les addictions, la vie qu’on mord à pleines dents. Il travaille l’autoportrait, séduit son sujet et se met en scène de manière provocatrice – avec notamment l’artiste australienne Vali Myers, une proche de Cocteau et de Genet -. Son premier livre, Love on the Left Bank/Une histoire d’amour à Saint-Germain des Prés, sorte de roman photo publié en 1956, en témoigne et entraîne dès le départ, sa notoriété. C’est l’un des points majeurs de l’exposition.

La même année, Ed van ver Elsken fait un séjour en République Centrafricaine – alors Oubangi-Chari – un an avant l’Indépendance du pays. Il l’observe comme un ethnologue et photographie la vie quotidienne dans des villages reculés, loin de toute référence au monde moderne. Les enfants dessinent pour lui les rituels auxquels il ne peut être admis, il intègre leurs dessins dans l’ouvrage qu’il publie, Bagara/Buffle. Pour lui, l’animal résume le pays : « il symbolise à la fois l’aspect sauvage, la ruse et la force vitale de l’Afrique. » A partir de 1959, il entreprend un tour de monde avec sa femme, Gerda van der Veen, qui le mène jusqu’en Afrique du Sud, voyage dans plusieurs pays d’Asie, passe trois mois au Japon et termine son périple au Mexique et aux Etats-Unis. Il en rapporte un important matériel photographique et des reportages, trouve un éditeur sept ans plus tard seulement. Intitulé Sweet Life/La Douceur de vivre, l’ouvrage sort en 1966.

Ed Van Der Elsken nourrit une véritable fascination pour le Japon où il se rend plus d’une quinzaine de fois. L’exposition s’en fait aussi l’écho avec entre autre des photographies de lutteurs sumo, de mouvements de foule dans les trains, de folie de la consommation. Là encore l’urbain est sa principale inspiration mais il garde aussi un regard sur le rural. Il publiera un important ouvrage en 1988, intitulé The Discovery of Japan/La Découverte du Japon.

A côté de son travail de photographe, le cinéma tient une place essentielle dans son parcours. Souvent autobiographique, il interroge le bonheur et se situe dans la lignée du cinéma vérité, entre le documentaire et le cinéma expérimental. L’art du montage, qu’il pratique, est son alphabet. Dans l’un des premiers films qu’il réalise, en 1963, Bienvenue dans la vie, mon petit chéri, il fait un portrait de son quartier et de sa vie familiale. Dans son dernier, Bye, réalisé en 1990 et qui a valeur d’adieu, il fait un reportage sur le cancer qui le ronge où il est l’objet autant que le caméraman.

Ed van der Elsken est une figure singulière de la photographie – il passe du Rolleiflex de ses débuts au Leica qui lui permet d’approcher au plus près de ses sujets – ainsi que du cinéma documentaire néerlandais, au XXe siècle. La poésie et l’acuité de son regard sur les marginaux avec lesquels il est en empathie et sur la rue qu’il met en scène, et la recherche esthétique sur laquelle il s’interroge en permanence, font de lui un précurseur dans la photographie documentaire humaniste, en Europe. La vitalité de sa pensée et de ses images – photographiées, filmées ou dessinées – qu’il présente lui-même sous forme d’installations très personnelles, le place au cœur de la modernité.

 Brigitte Rémer, le 10 juillet 2017

Jusqu’au 24 septembre 2017 – Musée du Jeu de Paume, 1 Place de la Concorde. 75008. Paris. Métro Concorde – www.jeudepaume.org – L’exposition a été présentée au Stedeljik Museum d’Amsterdam. Elle fait partie de Oh ! Pays-Bas, saison culturelle néerlandaise en France 2017-2018. Elle sera présentée du 23 janvier au 20 mai 2018 à la Fundación Mapfre de Madrid.